• Odyssée scène 3

    3 – La grotte de Calypso

     

    Calypso tisse en chantant.

     

    CALYPSO – A qui veut casquer, pour un prix modique

    Je promets de faire et sans nul chiqué

    Un travail soigné, tiré du classique

    Pour un prix modique, à qui veut casquer…

     

    Pour une p’tite obole, la main dans la poche

    Et sous l’œil du garde qui me r’garde en d’sous…

     

    Elle s’interrompt et relève la tête.

     

    CALYPSO – Bonjour Hermès. Et ben, entre, reste pas dehors les bras ballants comme un nez qui coule ! Évidemment que je t’ai reconnu. Je suis chez moi, ici. Je connais le murmure des vagues, le chant des oiseaux et le vent dans les arbres. (Elle se lève et va vers lui). Je sais le bourdonnement des insectes et le goût de l’orage qui ne gronde pas encore. En ce qui te concerne, c’est surtout que tu pues la sueur.

     

    HERMÈS – Désolé Calypso. Je suis venu directement de l’Olympe, et mes sandales sont tombées en panne, j’ai dû changer des plumes. Et puis j’arrivais pas à remettre la main sur mon bâton avec les serpents, de toute façon ils passent leur temps à essayer de me chiquer, et puis…

     

    CALYPSO – Oui oui, d’accord. Tu peux me dire ce que tu fais là ?

     

    HERMÈS – Et bien… Zeus a décidé que tu devais laisser partir ton petit protégé. Le laisser rentrer chez lui, quoi. Je suis désolé, c’est Athéna qui lui a demandé, tu sais comment il est avec elle, il ne lui refuse jamais rien.

     

    CALYPSO – Athéna ? Cette petite peste m’a toujours détestée de toute façon ! J’ai combien de temps ?

     

    HERMÈS – Juste le temps de lui dire au revoir…

     

    Calypso s’assoit, abattue.

     

    CALYPSO – Et mince… il va me manquer, tu sais. Je me suis attachée à lui, tu me connais, sentimentale comme je suis… C’est vraiment un type bien, pour un mortel. Enfin, c’est probablement mieux comme ça. Pour lui, je veux dire. J’ai l’impression qu’il ne se plaît plus ici. Il passe ses journées à pigner sur la plage comme une gamin en début de colo, et le soir je suis obligée de le forcer pour qu’il veuille de moi ! Au début c’était un amant phénoménal, mais apparemment Monsieur n’a plus envie !

     

    Elle se relève pour exposer son physique à Hermès.

     

    Avec le corps que j’ai, tu te rends compte ?! Regarde-moi ça. Souple, énergique, la sensualité incarnée ! Je suis une nymphe, bon sang de bon soir !

     

    HERMÈS – Il veut rentrer. Il a une femme, tu sais.

     

    CALYPSO – Oui, je sais ! La merveilleuse Pénélope ! Et bien je suis désolée mais j’achète pas. Ça n’existe pas une femme aussi parfaite, c’est impossible.

     

    HERMÈS – Il semblerait pourtant qu’elle soit aussi vertueuse que ce qu’on…

     

    Hermès lève sa main pour se protéger. Calypso a sa main levée, prête à frapper. Un temps. Elle baisse sa main, résignée.

     

    CALYPSO – Qu’est-ce que je peux y faire, de toute façon? Je vais le voir pour lui annoncer. Je te préviens, quand je reviendrai je ne serai pas de bonne humeur. Si tu es encore là, je te fais la misère.

     

    HERMÈS – Une autre fois, merci.

     

    CALYPSO – Adieu.

     

    Calypso va rejoindre Ulysse sur la plage.

     

    CALYPSO – Je ne peux tout de même pas lui avouer que c’est Zeus qui m’oblige à le renvoyer cher lui … Je vais avoir l’air de quoi moi ? Et regardez-moi cette loque, à chigner à tout bout de champ ! Ulysse ? Ulysse ! Relève-toi, idiot !

     

    Ulysse se lève et se retourne, surpris. Il s’essuie les yeux, geignard.

     

    ULYSSE – Qu’est-ce que tu me veux ?

     

    CALYPSO – Allez viens Ulysse, installe-toi, j’ai à te parler. Bon alors voilà, j’ai bien réfléchi, et j’ai décidé que tu pouvais partir. Je sens bien que tu n’es pas heureux ici, alors voilà, tu peux t’en aller…

     

    Il lui baise les mains, à genoux.

     

    ULYSSE – Je peux partir ? C’est vrai ? Oh merci, merci Calypso, c’est vraiment le plus beau jour de ma vie !

     

    Elle dégage sa main, vexée.

     

     

    CALYPSO – Ouais, c’est ça, ouais ! Sympa… Mais oui, vas-y, pars. Construis-toi un radeau ou ce que tu veux, je m’en fiche, je te donnerai des provisions et je me débrouillerai pour que le vent te porte jusque chez toi. Mais en échange, réponds-moi : comment, Ulysse, comment ta Pénélope, après bientôt vingt ans sans la voir, après sept ans à mes côtés… A MES côtés ! Comment est-ce qu’elle peut rivaliser avec moi ? Je t’ai offert l’immortalité si tu restais ici en ma compagnie, et tu me la refuses pour cette… vieille femme ?

     

    ULYSSE – Tu ne comprendrais pas. Je le sais bien, que Pénélope n’est pas aussi éblouissante que toi. Mais c’est parce que nous sommes mortels. Parce que je suis à elle, et qu’elle est à moi. Et nous, nous n’avons qu’une seule vie pour être réunis.

     

    Calypso se lève.

     

    CALYPSO – Effectivement tu as raison, je ne comprends pas… Enfin, tu ferais mieux de te mettre au boulot.

     

    Elle sort. Noir.